Bach Johann Sebastian - L'œuvre pour luth adaptée pour la harpe par Sylvain Blassel
L’œuvre pour luth seul de Johann Sebastian Bach
soulève encore aujourd’hui de nombreuses
interrogations. Bach a très certainement rencontré
d’illustres luthistes de son temps, en particulier Sylvius
Leopold Weiss, dont il a transcrit une des suites pour
luth en une suite pour violon et clavecin (en la majeur
BWV 1025). Il est évident que Bach était familier avec
le luth, qu’il a utilisé à plusieurs reprises dans des
formations orchestrales. L’inventaire de ses
instruments personnels à Leipzig mentionne un luth,
dont on ne sait rien ni de la facture ni de l’accord. Ce
même inventaire recense deux Lautenwercken, ce qui
apparaît comme une clé dans la compréhension de son
œuvre pour le luth. Il s’agit en effet d’un instrument à
clavier dont la facture reprend quelques particularités
du luth, en particulier les cordes en boyau — sur
certains instruments, la table d’harmonie et la caisse de
résonance sont semblables à une sorte d’immense luth.
L’élève de Bach Johann Friedrich Agricola raconte en
1768 dans son ouvrage Musica mechanica organoedi
avoir vu et entendu un Lautenwerck conçu par Bach et
réalisé par Zacharias Hildebrand, un instrument
identique au clavecin, en dehors de sa taille plus petite
et ses cordes en boyau. Bach aura peut-être été touché
par le jeu de Weiss au point de demander à Hildebrand
de lui réaliser cet instrument pour imiter le timbre du
luth, ce qui pourrait expliquer pourquoi plusieurs
passages de ses partitions sont pratiquement injouables
sur un luth baroque standard.
Sur les sept oeuvres de Bach inscrites au répertoire des
luthistes, les seuls autographes sur lequel Bach
mentionne lui-même le luth est sa transcription de sa
cinquième suite pour violoncelle, et son Prélude, Fugue
et Allegro, BWV 998. Les autres sont soit des
transcriptions en tablature (BWV 997 et 1000, par
Weyrauch), soit des copies (BWV 996, 999), soit des
autographes sans précision d’instrument (BWV
1006a). De toutes ces pièces, trois au moins sont des
transcriptions d’autres œuvres de Bach, depuis le
violoncelle (BWV 995), ou le violon (BWV 1000 et
1006a). Bien que la mention du Lautenwerck
n’apparaisse que sur une seule copie (BWV 996), ces
pièces attribuées au luth ont sans doute été jouées au
Lautenwerck, écrites sur deux portées comme pour un
instrument à claviers.
Il n’est pas de nom français pour le Lautenwerck.
Laute et Lautenwerck étant relativement proches, on
pourrait penser à une traduction du Lautenwerck par le
mot luth, qui apparaît sur l’autographe de la suite
BWV 995 — l’usage du français était alors assez
répandu. Cependant, comme sur le titre ajouté au BWV
998 et sur la copie du BWV 999, l’erreur de genre au
mot la luth se réfère sans aucun doute au féminin
allemand Die Laute, et le genre neutre Das Lautenwerk
écarte l’hypothèse d’un problème de traduction.
Il ne nous est parvenu aucune partition pour harpe de
Johann Sebastian Bach. La harpe n’étant pourtant pas
un instrument si rare en son temps, il est difficile de
l’imaginer ignorer les harpes doubles de la région de
Leipzig, comme la harpe de 1740 par Johann
Volckmann Rabe conservée aujourd’hui au musée de
Copenhague. En réalité, le répertoire pour cette harpe
double allemande reste relativement confidentiel, et il
est probable que cet instrument fut surtout dédié au
continuo.
De tous les instruments pour lesquels Bach a laissé des
pièces solo, le luth est sans doute le plus proche de la
harpe. Aussi les harpistes ont depuis longtemps inscrit
à leur catalogue la plupart de son répertoire.
Cependant, le contact direct du doigt avec la corde en
boyau n’est qu’un simple point commun : le timbre, le
registre, et les résonances sont tellement différents que
jouer telles quelles à la harpe les partitions pour luth
soulève à chaque fois de nombreuses questions
d’arrangement, d’adaptation ou de transcription.
Deux parties constituent cet ouvrage.
La première est une édition originale. Sur les
manuscrits, les portées supérieures sont notées soit à
l'octave supérieure (BWV 997), soit en clé d'ut 1 ère
(BWV 998, 999, 1006a), ut 3 ème (BWV 996), ou ut 4 ème
(BWV 995). Pour des raisons de confort de lecture,
tout a été restitué en clé de sol. De même, les
altérations de précaution ont été rajoutées.
La seconde partie est une adaptation pour la harpe
moderne. Elle se veut fidèle à l’édition originale, et se
refuse d’ajouter les moindres notes, ornements, tempi,
nuances, articulations ou doigtés. Seules différentes
transpositions permettent d’adapter chaque pièce au
registre de la harpe moderne.
S.B.